« Ce qui vient en premier plan dans des films de Baratier, c’est la poésie, pas la machine cinématographique. Il faisait un cinéma qui inventait son propre territoire. D’habitude les gens travaillent sur le même territoire, mais lui en a changé continuellement. Le cinéma a été pour lui une espèce d’instrument magique pour approcher et donner vie à tout ce qu’il aimait. »
André S. Labarthe, 2010
Jacques Baratier est un réalisateur et scénariste français né à Montpellier le 8 Mars 1918, et décédé à Antony le 27 Novembre 2009. Il se passionne très tôt pour tout ce qui a attrait à la littérature et la peinture. Grâce à son père, il fréquente également les cercles littéraires de l’époque. A la Libération, il s’imprègne de l’effervescence du quartier parisien de Saint-Germain-des-Prés et commence à nouer des amitiés qui vont être décisives pour son avenir et son œuvre. Il y fait la rencontre notamment des poètes Gabriel Pomerand et Olivier Larronde, ou encore Jacques Besse et Boris Vian, qu’il immortalisera sur pellicule avec Désordre et Désordre à 20 ans, versions du même documentaire qu’il ne cessera de ré-explorer toute sa vie. Quelques années plus tard, il repart en Afrique du Nord avec la ferme intention de devenir peintre. Mais le fait de croiser dans le Sahara algérien l’équipe de tournage de L’Escadron blanc, réalisé par René Chanas, lui fait prendre une autre direction. Il se fait engager comme figurant, puis assistant-réalisateur. Cette première expérience dans le cinéma s’avère décisive puisqu’elle fait naître en lui le désir de mise en scène.
Copyright © Association Jacques Baratier / Photographe : Raymond Cauchetier
Jacques Baratier est un cinéaste français atypique, une personnalité caractérisée par une grande indépendance d’esprit. Il peut être vu comme l’aîné des enfants terribles de La Nouvelle Vague. Mais s’il est contemporain de la Nouvelle Vague, il n’y est toutefois pas rattaché. Son style, unique et indéfinissable, serait plutôt dans la lignée d’un René Clair, auquel il a consacré un portrait dans Cinéastes de notre temps. Il peint ses films comme des tableaux à la manière d’un Van Gogh, et démontre que l’art cinématographique ou tout système référentiel qui lui est attaché n’est pas sa source d’inspiration première mais qu’elle s’étend à d’autres domaines comme la peinture, la littérature ou la poésie, et plus généralement l’ouverture vers le monde extérieur. Entouré continuellement de poètes, d’écrivains, de musiciens et d’artistes en tous genres, il a fait office de véritable découvreur de talents.
Si son œuvre ne devrait être définie que par un seul mot, ce serait la liberté ; aussi bien sa liberté que celle du spectateur. Elle ne nous enferme pas dans un système. A la fois éclectique et personnelle, elle a permis de dresser un portrait juste et polyvalent de son époque, comme un témoignage précieux et sincère hors de tous diktats. L’œuvre de Jacques Baratier est ainsi traversée par la fantaisie et l’audace, avec une façon unique de raconter des histoires, une conception personnelle du montage, à la fois dynamique et éclaté, synonyme de liberté.
Avec plus d’une trentaine de films, sa filmographie est imprégnée aussi bien d’une fibre documentaire que fictionnelle. Dans le versant documentaire, on peut déceler une orientation à visée ethnographique, sur la dynamique du groupe et du rassemblement communautaire (Les Filles du Soleil sur la vie des tribus berbères en Afrique saharienne, près de Ouarzazate, Eden Miseria sur le voyage de beatniks à Katmandou au Népal durant l’hiver 67, Opération Séduction sur une mission de pacification d’une des dernières tribus indiennes du Brésil, les Cintas-Largas, ou encore les émissions télévisées sur l’Afrique, Berceau de l’Humanité et Enfance africaine). Jacques Baratier s’est aussi attaché à dépeindre la capitale d’après-guerre et l’univers du spectacle qui lui est rattaché (La Cité du Midi sur un gymnase d’acrobates à Montmartre, Métier de danseur avec Jean Babilée, Chevalier de Ménilmontant sur le quartier du même nom avec la chanteur Maurice Chevalier, Paris la nuit, exploration nocturne de la capitale qui obtient l’Ours d’Or au festival de Berlin en 1956). Le cinéaste a aussi consacré des portraits personnalisés à des artistes comme le violoncelliste et compositeur espagnol Pablo Casals, le poète Jean Albany retranché sur l’Île de la Réunion (L’ami abusif, Mon île était le monde), ceux qui investissent le quartier de St-Germain-des-Près d’après-guerre (Désordre et Désordre à vingt ans), le comédien Jacques Dufilho ou le cinéaste René Clair. A la fois tournés dans l’improvisation et la fantaisie, et maîtrisés sur le plan formel et esthétique, ce versant documentaire dresse un panel des sujets qui le touchent particulièrement et contient les germes de l’univers polymorphe qu’il développe dans ses fictions.
Copyright © Argos Films (Désordre, Èves Futures) / René Château (La Cité du Midi) / Association Jacques Baratier (Opération séduction)
Goha est son premier long métrage de fiction coproduit en 1957 par la jeune république tunisienne qui vient tout juste d’accéder à l’Indépendance. Considéré comme une pierre fondamentale dans le patrimoine cinématographique tunisien, ce film est une adaptation du conte égyptien, Le Livre de Goha le simple, d’Albert Adès et Albert Josipovici par Georges Schéhadé, poète et dramaturge francophone d’origine libanaise, dont il s’agira de l’unique scénario écrit pour le cinéma. Pour incarner ce personnage populaire ancré dans l’imaginaire collectif du monde arabe, Jacques Baratier fait appel à Omar Sharif, qui n’a pas encore tourné hors de son pays natal et été sollicité par les productions anglo-américaines de Lawrence d’Arabie et du Docteur Jivago. Claudia Cardinale, alors âgée de 16 ans, interprète également un second rôle et deviendra célèbre l’année suivante dans Le Pigeon de Mario Monicelli. Le film a été tourné dans plusieurs villes tunisiennes (Kairouan, Monastir, Hammamet, etc.) en deux versions, l’une arabe de 90 minutes et l’autre française de 78 minutes, par amitié et égalité entre la France et la Tunisie. En avril 1958, la Tunisie décide d’inscrire le film au festival de Cannes où il reçoit un accueil critique très favorable et est récompensé par le prix de la Critique Internationale pour son originalité poétique et la qualité exceptionnelle de ses dialogues. Goha a joué un rôle déterminant non seulement en posant les fondations d’une industrie cinématographique locale, mais aussi en livrant une représentation de l’Afrique du Nord autrement qu’avec des clichés.
Copyright © Association Jacques Baratier (Goha, La Poupée, Dragées au poivre, L’Or du Duc, La Ville-Bidon, L’Araignée de Satin)/ Argos Films (Piège) / Claude Kunetz (Rien voilà l’ordre)
Il réalisera au cours des quarante années suivantes huit fictions différentes, comme La Poupée (1962), fable politique satirique, loufoque et iconoclaste axée sur une dictature sud-américaine imaginaire, dont l’écrivain Jacques Audiberti a signé le scénario adapté de son propre roman, Dragées au poivre (1963), série de sketches écrits par l’humoriste Guy Bedos, mettant en scène une farandole d’acteurs français du moment (Jean-Paul Belmondo, Simone Signoret, Francis Blanche, Claude Brasseur, Jean-Pierre Marielle, etc.), et pointant du doigt le cinéma-vérité et le mouvement de La Nouvelle Vague, L’Or du Duc (1965), road-movie avec Claude Rich, à la fois enjoué et poétique, mêlant habilement densité dramatique et légèreté comique et où souffle un vrai vent de liberté. La Ville-bidon (1973), avec Daniel Duval et Bernadette Lafont, dénonciation controversée des politiques d’urbanisation de la banlieue parisienne, est son film qui illustre le mieux le syncrétisme entre imaginaire fictionnel et réalisme documentaire. Influencé par le cinéma surréaliste et la psychanalyse, il a aussi exploré la folie et l’inconscient à travers des films comme Èves futures (1964), Piège (1969), L’Araignée de satin (1984), ou encore Rien, voilà l’ordre (2004).
En tant que réalisateur :
Fictions
- Goha (1958) *
- La Poupée (1962) *
- Dragées au poivre (1963) *
- L’Or du Duc (1965) *
- Piège (1969)
- La Décharge (1970)
- La Ville-Bidon (1974) *
- Vous intéressez-vous à la chose ? (1974)
- L’Araignée de Satin (1984) *
- Rien, voilà l’ordre (2002)
Documentaires
- Les Filles du soleil (1949)
- Désordre (1947-1950)
- La Cité du Midi (1952)
- Métier de danseur (1953)
- Chevaliers de Ménilmontant (1953)
- Pablo Casals (1955)
- Paris la nuit (1956)
- Èves futures (1964)
- Le Désordre à vingt ans (1966)
- Eden miseria (1967)
- Opération séduction (1975) *
- Vanille la fleur (1987)
- Mon île était le monde ou L’ami abusif (1991)
- Un Beau Désordre (2009)
Télévision
- Jacques Dufilho : Le comédien et ses personnages (1963)
- René Clair, Cinéastes de notre temps (¬¬1968)
- Les Indiens du Brésil (1969)
- Goha et après (1971)
- Un pommier en hiver (1972)
- Le Berceau de l’Humanité (1973)
- L’Occitanie 1 et 2 (1973)
- Enfance africaine (1976)
N.B. : Jacques est scénariste (ou co-scénariste) de tous les films listés au-dessus, excepté Goha et La Poupée.
En tant qu’assistant-réalisateur
- L’Escadron blanc de René Chanas (1948)
- L’Extravagante Theodora = J’te confie ma femme d’Henri Lepage (1949)
- Nous avons tous fait la même chose de René Sti (1949)
- Mon ami le cambrioleur d’Henri Lepage (1950)
- Les Créatures d’Agnès Varda (1965)
En tant qu’interprète
- Les demoiselles de Rochefort de Jacques Demy (1966)
- Acéphale de Patrick Deval (1969)
- La Décharge (1970)
- La Ville-Bidon (1974) *
- Derrière la nuit (Carnets filmés) de Gérard Courant (1976-2003)
- L’Araignée de Satin (1985) *
- Boxes de Jane Birkin (2006)
* Films appartenant à l’Association Jacques Baratier